Triste et sombre retour à la réalité • Lloyd et Averleen

Un mois, cela faisait un mois qu’Isabelle avait quitté la ville en me jetant comme une vieille chaussette que l’on a fini d’utiliser. J’en venais même à me demander si elle m’avait réellement aimé, si je n’avais pas été une simple façon de passer le temps en attendant que mon meilleur ami ne finisse par rompre… A croire que cela devait l’amuser de coucher avec le meilleur ami de son fiancé. Je m’en voulais d’avoir été aussi idiot, de ne pas avoir compris qu’elle me menait en bateau depuis le début. Et dire que j’avais pensé pouvoir refaire ma vie avec elle. Je m’étais bien fait avoir pour le coup. Je n’avais été qu’un objet entre ses mains. Heureusement, ma relation avec Lloyd n’en avait pas pâtie bien qu’il aurait tout à fait pu me mettre son poing dans la gueule pour avoir couché avec sa fiancée. Mais depuis le départ de cette dernière, je n’avais plus goût à rien. Je continuais à travailler à la caserne de pompier mais mes collègues ne me reconnaissaient plus. Je dormais assez peu et surtout, j’avais repris ma mauvaise habitude de fumer, moi qui avais tellement galéré pour arrêter. Les seuls moments où je sortais de chez moi, c’était pour faire mes courses et pour ma sortie hebdomadaire au bar où je retrouvais Lloyd. D’ailleurs, je devais le retrouver ce soir et j’étais un peu en avance, je devais le reconnaître. J’attendais donc l’arrivée de mon meilleur ami, un verre de bière dans une main et ma cigarette fumante dans l’autre. Je restais là, adossé à un mur, les yeux dans le vide. Je ne pensais à rien, il y avait bien longtemps que je ne pensais plus pour éviter de souffrir à me repasser les détails du départ d’Isabelle et les différents scénarios qui auraient pu exister.

Ce soir, j’allais replonger tête la première dans mon passé et je devais reconnaître que j’étais assez stressée. Vanessa avait été étonnée de me voir anxieuse alors qu’elle savait que je devais sortir avec Lloyd ce soir et elle n’avait eu de cesse de me questionner. Je lui avais alors expliquer que je revoyais un autre ami d’enfance que je n’avais pas revu depuis vingt ans et elle eut un petit sourire, essayant de me rassurer. Ce soir, je devais accompagner Lloyd à sa sortie hebdomadaire avec Joshua, c’était une demande de mon meilleur ami. Joshua allait mal, très mal apparemment, et je n’avais pu qu’accepter, non sans lui demander ce qu’il se passait pour le jeune homme. Il m’expliqua alors que notre ami commun n’avait pas eu une vie facile au niveau de l’amour. Il avait été marié avec un militaire qui était malheureusement mort au combat, il y a presque deux ans désormais. Cela ne m’avait guère surprise, j’avais rapidement appris à mon retour que Joshua était homosexuel. Mais Lloyd ajouta qu’il avait fini par tomber amoureux d’une jeune femme et c’était déjà plus étonnant. Il n’était donc pas homosexuel mais bisexuel. Non pas que cela ait une quelconque importance, je n’étais pas du genre à juger quelqu’un sur sa vie sexuelle. Déjà parce que cela ne me regardait pas et puis, tant que la personne est heureuse, qu’est-ce qu’on en a à faire que ce soit avec un homme ou une femme? Mon meilleur ami ajouta que cette jeune femme n’était autre qu’Isabelle, son ancienne fiancée et je n’avais pu m’empêcher de grimacer. Lorsque Lloyd avait rompu avec sa fiancée, cette dernière avait quitté la ville sans même se retourner. Je ne pus que comprendre la réaction de Joshua et je me sentais peiné pour lui. Dans un coin de ma tête, je ne pouvais m’empêcher de penser que si Lloyd et Isabelle avaient rompu, c’était à cause de moi, à cause de mon retour en ville. Je savais que c’était assez égoïste de penser ainsi et je m’en voulais de penser cela. Mais en même temps, cela pouvait laisser l’espoir que Lloyd puisse toujours être amoureux de moi et qu’il s’en soit rendu compte à mon retour. Oui, je sais, l’espoir fait vivre. Je savais que Joshua et Isabelle avait eu une brève aventure alors qu’elle était toujours en couple avec Lloyd mais ce n’était pas au jeune homme que j’en voulais. C’était à Isabelle. Du peu que je me souvenais de Joshua, c’était un garçon de dix ans avec le cœur sur la main, toujours le mot pour rire ou la petite attention pour redonner le sourire. Alors qu’on puisse se jouer ainsi de lui, cela avait du mal à passer. J’étais donc bien décidée à remonter le moral du jeune homme et je n’avais donc pu qu’accepter la demande de mon partenaire. Nous devions nous retrouver devant le bar où les deux hommes se retrouvaient et je n’avais donc plus qu’à prendre le bus. J’arrivais rapidement sur la rue Dolldorf et je n’eus pas à marcher longtemps avant d’être en vue du Kilt. Je reconnus assez facilement Joshua, adossé au mur du pub, occupé à fumer. « Je vois maintenant d’où vient l’expression fumer comme un pompier… » J’espérais juste lui arracher un petit sourire. Ce n’était nullement pour me moquer de lui ou pour le mettre mal à l’aise mais voilà, cela se voyait comme le nez au milieu de la figure qu’il n’était pas dans son assiette et si j’avais eu mal pour lui avec juste le récit de Lloyd, je sentais mon cœur se serrer en voyant sa tête désormais. Je m’approchais de lui, un petit sourire aux lèvres. « Salut Hua… » Ce n’était pas officiellement le surnom que je lui avais donné, c’était ainsi que je l’avais toujours appelé quand nous étions à l’école ensemble. J’avais longtemps eu du mal à prononcer son prénom et je ne prononçais donc que la partie la plus facile pour moi, la fin.

Je n’arrivais pas à comprendre l’intérêt des agissements d’Isabelle. Avait-elle su dès que Lloyd avait commencé à prendre ses distances que son couple était menacé? Si oui, avait-elle sciemment couché avec le meilleur ami de son fiancé, donc moi, juste pour le plaisir de foutre le bordel une fois la rupture effective? Si non… Pourquoi? Pourquoi me laisser penser qu’elle pouvait être intéressée par moi, limite amoureuse de moi, si c’était pour prendre ses clics et ses clacs en envoyant dans remarques peu agréables? Ce n’était pas non plus comme si elle n’avait pas été au courant des souffrances que ce genre d’histoire m’avait déjà causé… Maintenant, je le savais, j’allais finir seul. Ce n’était peut-être pas plus mal, je n’aurais pas à souffrir. Mieux valait être seul que mal accompagné après tout… Je prendrais des chats et des chiens, je vendrais la maison où je vivais actuellement, trop pleine de souvenirs et je prendrais une maison plus simple dans Fadden Hills avec un grand jardin. Cela m’aiderait au moins à passer le temps. Ayant terminé ma cigarette, j’en rallumais une alors qu’une voix féminine s’élevait pour parler de l’expression fumer comme un pompier. Je tournais la tête vers cette femme qui osait s’immiscer dans ma bulle, prêt à lui dire d’aller voir ailleurs, que je ne voulais pas de compagnie d’une femme mais quand elle me salua, je fus bien incapable de l’envoyer bouler. Averleen… C’était la première fois que je la voyais depuis que j’avais appris son retour. Je me permis de l’observer un court instant, me rendant compte que même après vingt ans, on retrouvait quand même la petite fille qu’elle avait été. Et étrangement, sa présence me fit sourire, comme si j’étais content de la voir. Ce qui n’était pas faux, j’étais content qu’elle soit revenue en ville. Au moins, Lloyd pourrait être heureux, c’était déjà bien. « Bah, que veux-tu Aver… Faut bien mourir de quelque chose alors je prends de l’avance… » Ouais, on avait fait plus optimiste comme discours. Mais après tout, je n’en avais rien à faire. J’étais quand même étonné de voir la jeune femme au bar, pile le soir où je devais retrouver Lloyd. Quelle coïncidence. Ou peut-être pas, après tout, Lloyd et Averleen bossent ensemble et mon meilleur ami avait dû parler de la situation avec sa meilleure amie. Après, qui avait proposé à l’autre de venir? Aucune idée qui n’avait de toute façon aucune importance. Alors que j’allais rajouter quelque chose sur le retard de Lloyd, fait suffisamment rare pour être souligné, je le vis arriver. A peine fut-il arrivé qu’il prit la première tournée pour lui avant de me faire une remarque sur le fait que je fumais. Et comme pour l’ennuyer, je fis exprès de prendre une grande bouffée à ce moment précis. « Oh, tu sais… Je crois que si cela devait m’arriver, je préfèrerais ne pas m’éteindre… » Quand je vous avais dit que je n’étais pas du genre optimiste pour le moment. Je n’avais même pas été en couple avec Isabelle et je réagissais comme si elle m’avait quitté, c’était bizarre. Mais j’avais eu l’espoir qu’elle puisse être la personne qui m’était destiné sur cette terre, celle que j’aurais plaisir à voir se réveiller le matin et contre qui je m’endormirais le soir… Et se rendre compte que je m’étais trompé, qu’elle ne m’avait pas aimé comme moi je l’avais aimé, c’était douloureux. Il allait falloir du temps pour digérer la déception, surtout les circonstances… Parce qu’elle avait quand même trompé Lloyd avec moi, ce n’était pas rien et j’avais un peu de mal à accepter mon rôle dans l’histoire. « Tu sais, je doute que m’inviter chez tes parents soit une bonne idée… Je vais surtout déprimer, me plaindre et avec un coup dans le nez, je risque même de pleurer sur mon triste rôle d’amant idiot… » Clairement, si Lloyd voulait passer un bon week-end chez ses parents, valait mieux pas que je sois de la partie…

Joshua me peinait réellement. Je ne savais que trop bien à quel point les peines de cœur peuvent faire mal. Mais jamais encore je ne m’étais retrouvée dans la position du jeune homme et je ne l’enviais pas du tout. Je n’osais même pas imaginer sa réaction quand Isabelle était venue le voir pour lui dire qu’elle quittait la ville alors même qu’elle avait laissé entrevoir tant de chose à Joshua. Je n’avais jamais eu de réelle hostilité envers la fiancée de Lloyd. Mais là, si elle revenait en ville, je lui ferais comprendre qu’on ne joue pas ainsi avec le cœur d’un homme aussi gentil que Joshua. Alors que je lui faisais remarquer qu’il fumait, il eut un léger sourire avant de me monter ô combien il était optimiste… Alors certes, il fallait bien mourir un jour mais mourir d’un cancer, ce n’était clairement pas le mieux. Lloyd arriva sur ces entre-faits et je répondis à son signe de la main par un signe de tête. Il s’occupa de son meilleur ami alors que je commandais un verre. J’eus un petit sourire quand mon partenaire ajouta également quelque chose sur le fait que Joshua fume. Je hochais simplement la tête quand Lloyd ajouta que Joshua pouvait venir chez ses parents, qu’il aurait besoin de son aide pour garder la maison de sa famille, partie en week-end. J’étais persuadé que c’était une bonne idée, que cela permettrait au jeune homme de sortir un temps la tête de l’eau. Mais la réponse de Joshua me fit grimacer. Effectivement, tout optimisme semblait avoir disparu dans le regard du jeune homme. Après, je n’étais certainement pas la mieux placé pour parler d’amour et de déception amoureuse étant donné que je n’avais jamais eu de petit ami, je n’avais donc jamais été dans une situation de souffrance à cause de quelqu’un. Buvant une gorgée de mon verre, je posais ma main sur son bras avant de m’emparer de sa cigarette que j’écrasais dans un cendrier. « Ce n’est pas parce qu’on doit mourir un jour que tu dois te détruire la santé. » Je me doutais que le jeune pompier allait m’en vouloir mais je le fixais avec mon regard obtus et je savais que ce regard bloquait toute tentative pour essayer de parlementer ou même de chercher à prouver que l’autre avait raison par A+B. Je savais que pour le coup, j’avais raison. « Accepte la proposition de Lloyd. Y a rien de mieux que de jouer aux gamins. Batailles d’oreillers, bataille d’eau puis séchage au coin d’un feu de cheminée… Bon, bien sûr, faudra faire gaffe à bien ranger car je doute que Madame Watkins accepte de retrouver sa maison sans dessus-dessous à son retour de week-end. » J’eus un petit sourire tout en portant mon regard sur Lloyd. Je me doutais qu’il allait avoir les mots justes pour réconforter Joshua, il le connaissait bien mieux que moi. Il serait donc le plus à même de parler de cette histoire avec Isabelle, de lui donner son ressenti. Pour ma part, je pouvais simplement parler aux noms des autres personnes que Joshua pourrait rencontrer. Tout le monde n’était pas comme Isabelle et ce n’était pas parce qu’elle l’avait quitté comme une vieille chaussette que tous les humains le feraient.